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Molière & la civilisation des sacs plastiques…

Molière & la civilisation des sacs plastiques…

Molière était en colère, très en colère. Il revenait de Franprix où on lui avait refusé un sac plastique pour y mettre ses commissions. Furieux, il fustigeait ce monde de l’argent où on allait l’obliger, bientôt si l’on n’y prenait garde, à acheter des sacs poubelle. « Tu entends Sganarelle, acheter ; non mais on rêve ! » Molière, en effet, s’était mis en ménage avec Sganarelle depuis une petite dizaine d’années et y avait trouvé une certaine stabilité. Il ne se sentait plus du tout obligé de plaire aux puissants sachant qu’il pourrait toujours s’épancher sur une épaule compatissante.

Molière, qui n’avait rien d’un Don Juan, était plutôt du genre popote et passait la plupart de son temps enfermé dans son bureau à écrire, écrire, écrire ou dans sa cuisine, à mijoter des petits plats très gastronomiques à son domestique préféré. Il n’avait plus de troupe depuis longtemps et écrivait dorénavant pour différentes compagnies théâtrales auprès desquelles il avait grand succès. Sganarelle se laissait vivre, très heureux de cette convention matrimoniale avec son maître.

Mais Sganarelle avait un secret, une lubie secrète plutôt. Et Molière la découvrit, un jour, presque par hasard. N’ayant plus d’encre dans son stylo et s’étant déjà mis en pyjama, il ne voulut pas se rhabiller pour sortir en chercher et s’avisa de visiter les pièces du premier étage où il n’allait jamais, à la recherche de quelque chose pour écrire.

Il se versa un solide verre de vodka orange et, enfilant ses pantoufles, se dirigea vers l’escalier. Sganarelle était de sortie : une réunion de l’Association des gens de maison dont il était le secrétaire. Cela durerait très longtemps sûrement, et puis, comme ils vont toujours boire des coups après, Molière avait tout le temps de folâtrer au premier. Dans les deux chambres, il n’avait rien trouvé qui ressemblât de près ou de loin à de l’écriture.

La petite pièce du fond, en revanche, qui ne servait à rien de précis, avait laissé Molière perplexe, immobile dans le chambranle de la porte : la pièce était remplie, mais ce qui s’appelle remplie, du sol au plafond, de sacs en plastique classés par couleurs et par tailles, en des piles immenses. Quelle surprise, presque magique ! C’était comme un grand lac, un archipel, un Triangle des Bermudes caché au premier étage d’une maison bourgeoise en plein cœur de Paris.

Il s’assit dans le couloir en sirotant son cocktail et finit par s’endormir. Il rêva de voyages en des paradis artificiels où de très belles filles et de très beaux garçons passaient leur vie à le caresser. Lorsqu’il s’éveilla, il était dans son lit ; Sganarelle endormi dans le fauteuil gardait son sommeil. Il lui dit simplement : « T’étais encore saoul quand je suis rentré cette nuit. » « Ah oui ! Quelle muflée, mon bon Sgane… »

Daniel Trubert   

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